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5 avril 2016

POLITIQUE DES DROGUES

Le Mexique vers une libéralisation des drogues ?

Hector Astudillo, gouverneur de Guerrero se prononçait récemment en faveur d’une légalisation de la culture d’opium à des fins thérapeutiques au Mexique dans une perspective de limitation des violences associées aux cartels de drogues qui déchirent le pays depuis plusieurs années. En 2014, 43 enseignants stagiaires disparaissaient à Guerrero dans des circonstances douteuses, manifestement assassinés par un gang avec la complicité d’une police locale corrompue. Cet acte de barbarie suscita une condamnation sans appel à l’échelle internationale et jeta le discrédit sur les autorités et l’ordre public mexicains. Dans ce contexte, libéraliser la culture d’opium apparaîtrait, selon Hector Astudillo, comme une mesure globale destinée à faire baisser la pression que les cartels exercent sur les agriculteurs locaux et à restaurer l’ordre public difficile à assurer au seul niveau local. Pena Nieto, à la tête du pays, se montrerait toutefois plutôt réservé devant un tel bouleversement législatif, tandis que le pays est actuellement dans l’évaluation à l’échelle nationale de sa politique à l’égard du cannabis.

Source : "Mexico governor floats idea of medical opium growing to reduce drug violence", Reuters, 15 mars 2016

Mesures de prévention de la consommation d’alcool chez les mineurs et accidents de la route aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, il appartient à chacun des 50 Etats d’organiser l’encadrement législatif de la consommation d’alcool. Chacun édicte ses propres lois et règles qui renforcent souvent les lois fédérales. Il existe actuellement 20 lois entrées en vigueur en l’espace de 20 ans qui visent à prévenir les dommages associés à la consommation d’alcool des mineurs. Quelles sont les plus efficientes ? Quelles sont leurs faiblesses ? Une enquête parue dans le Journal of studies on alcohol & drugs vient d’identifier 9 mesures présentant un bénéfice particulièrement significatif en termes de réduction des accidents mortels : la loi sur la possession d’alcool (-7,7 %), sur l’achat d’alcool (-4,2 %), la consommation d’alcool sanctionnée par une perte de permis de conduire consécutive (-7,9 %), la loi zéro tolérance avec un seuil limite de concentration d’alcool de 0,02 chez les conducteurs en deçà de l’âge minimum requis pour prendre le volant (- 2,9 %), la loi qui porte à 21 ans l’âge légal pour fréquenter un bar (- 4.1 %), les programmes de contrôle gouvernemental de la composition des boissons alcoolisées (- 3,8 %), les dispositifs de vérification des fausses pièces d’identité pour les détaillants (- 11,9 %), la loi sur la responsabilité des vendeurs de spiritueux (-2,5 %) et sur la responsabilité civile de l’hôte (- 1,7 %). Deux lois étaient corrélées avec une augmentation sensible des accidents de la route mortels chez les conducteurs n’ayant pas atteint l’âge légal de consommation : l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs (+ 7,2 %) et l’enregistrement des fûts de bière (+ 9,6 %).
La mise en application de ces 9 lois sauverait 1 135 vies par an selon les estimations des auteurs. Pour l’heure, elles ne sont en vigueur simultanément que dans 5 Etats américains. Systématisées à l’échelle du pays, 210 vies supplémentaires pourraient être sauvées chaque année.

Source : James C. Fell, Michael Scherer, Sue Thomas, Robert B. Voas, "Assessing the impact of twenty underage drinking laws", Journal of Studies on Alcohol & Drugs , 22 mars 2016
DOI. 10.15288/jsad.2016.77.249

Santé publique et politique internationale des drogues

Le Lancet publie un plaidoyer très documenté sur l’évolution des politiques des drogues à l’international et leur incidence en termes de santé publique, les défis à relever et les leçons à tirer de l’échec des approches prohibitionnistes longtemps majoritaires. La Johns Hopkins-Lancet Commission on drug policy and health, à l’origine de ce rapport entend examiner les preuves scientifiques probantes quant aux effets des politiques des drogues sur la santé publique pour informer et encourager un débat non politicien et pragmatique, éclairé par des données solides, notamment dans le cadre de l’UNGASS 2016. Une des préoccupations de ce rapport est notamment la distinction entre usage de substances et abus de substances, confusion à l’origine du développement de mesures répressives - souvent discriminantes pour les minorités ethniques - au détriment de la prise en charge et du développement de dispositifs de réduction des risques et des dommages dont on connaît l’impact sur la santé publique.

Source : Joanne Csete, Adeeba Kamarulzaman, Michel Kazatchkine, Frederick Altice, Marek Balicki, Julia Buxton, Javier Cepeda, Megan Comfort, Eric Goosby, João Goulão, Carl Hart, Thomas Kerr, Alejandro Madrazo Lajous, Stephen Lewis, Natasha Martin, Daniel Mejía, Adriana Camacho, David Mathieson, Isidore Obot, Adeolu Ogunrombi, Susan Sherman, Jack Stone, Nandini Vallath, Peter Vickerman, Tomáš Zábranský, Chris Beyrer, "Public Health and international drug policy", The Lancet

VU D'AILLEURS

« Where would Jesus go? »

Un chauffeur de bus s’injectant de l’héroïne en plein jour au milieu des passagers, une jeune femme qui décède d’une overdose dans la chambre de son enfant à l’hôpital pédiatrique de Cincinnati tandis que son époux est retrouvé inconscient à ses côtés, une église qui condamne ses commodités publiques faute de savoir « gérer » les usages d’héroïne et overdoses associées qui s’y perpétuent…avec 78 décès par jour liés à l’usage d’héroïne, les Etats-Unis continuent de subir de l’intérieur cette vaste épidémie. Cette situation critique les amène cependant à se doter d’outils pour faire face. Ainsi les usagers d’héroïne en viennent à choisir pour séjour les villes américaines dont les équipes de soins d’urgence sont pourvues en naloxone (Narcan®). Quelques initiatives locales de réduction des dommages sont recensées : l’agglomération d’Ithaca dans l’état de New York aurait évoqué la mise en place un site d’injection supervisée, encore illégal aux Etats-Unis tandis qu’à Boston, un «espace sécurisé» pour les usagers de drogues a été leur permettrait de consommer de la drogue de façon supervisée.

Source : Katharine Q. Seelye, "Heroin epidemic increasingly seeps into public view", 6 mars 2016

>> Lire également les propos de Barack Obama et ses engagements annoncés dans le cadre du National prescription drug abuse heroin summit à propos du renforcement des mesures d’accompagnement et de prise en charge des mésusages d’opioïdes - au détriment de la criminalisation jugée inefficace et dommageable - avec des dispositifs de réduction des risques comme l’échange de seringues, le développement des prescriptions de buprénorphine et l’accès à la naloxone.
"Obama: 'Drug addiction is a health problem, not a criminal problem'", The Guardian, 30 mars 2016

EPIDEMIOLOGIE

Cocaïne et accident ischémique précoce

Une étude cas-témoins parue dans Stroke confirme l’hypothèse d’une association directe entre forte consommation de cocaïne et accident ischémique précoce (AIP). 1 090 cas d’AIP et 1 154 témoins ont été inclus dans l’analyse. Elle a permis d’estimer l’impact de la voie d’administration (cocaïne fumée ou inhalée) et les facteurs de confusion tels que diabète, hypertension, statut tabagique et consommation d’alcool ont été contrôlés. Parmi les résultats, l’analyse décrit un sur-risque statistiquement significatif pour les usagers de cocaïne à forte dose (acute use), toute voie d’administration confondue, de survenue d’un AIP chez les consommateurs de cocaïne que chez les non-consommateurs (odd ratio 5,7 [IC 95 % 1,7 à 19,7]). Par ailleurs parmi les 26 patients identifiés comme ayant consommé de la cocaïne à forte dose dans les 24 heures qui précédaient leur AIP, 14 d’entre eux déclaraient une consommation dans les 6 heures.

Source : Yu-Ching Cheng, Kathleen A. Ryan, Saad A. Qadwai, Jay Shah, Mary J. Sparks, Marcella A. Wozniak, Barney J. Stern, Michael S. Phipps, MHS, Carolyn A. Cronin, Laurence S. Magder, John W. Cole, Steven J. Kittner, "Cocaine use and risk of ischemic stroke in young adults", Stroke

Cannabis et fonctions cérébrales : une mise au point

Que sait-on et que reste-t-il à savoir des effets du cannabis sur les fonctions cognitives et neuropsychologiques ?
Les connaissances progressent mais certaines zones d’ombre demeurent d’après une revue de la littérature récente parue dans le JAMA Psychiatry sur l’association entre cannabis, performances cognitives et troubles psychotiques. A l’aune des travaux inclus dans cette mise au point, le THC semble fortement impliqué dans de dysfonctionnements neuronaux observables en contexte d’usage de cannabis chez l’adolescent, dans l’apathie et l’absence de motivation consécutives à l’usage de cannabis et dans la survenue de troubles psychotiques. La consommation concomitante d’alcool, les quantités consommées, les variations interindividuelles et prédispositions génétiques ne doivent cependant pas être sous-estimées dès lors que l’on cherche à établir un lien de causalité entre cannabis et altérations cérébrales et requièrent des études de cohorte qui permettraient de suivre les individus avant et après l’entrée dans les consommations. Au regard de la croissance rapide du nombre d’usagers de cannabis, il n’est pas exclu que des effets toxiques (ou bénéfiques) non soupçonnés se révèlent notamment chez les populations les plus vulnérables (enfants, adolescents, personnes âgées, patients poly-pathologiques…). Aussi pour l’heure, les auteurs incitent-ils à une certaine prudence dans un contexte où la normalisation du cannabis est portée par une constellation d’intérêts privés qui ne vont pas tous dans le sens de la santé publique et encore moins de la rigueur scientifique.

Source : Nora D. Volkow, JamesM. Swanson, A. Eden Evins, Lynn E. DeLisi, Madeline H. Meier, Raul Gonzalez, Michael A. P. Bloomfield, H. Valerie Curran, Ruben Baler, "Effects of cannabis use on human behavior, including cognition, motivation, and psychosis: A review", JAMA Psychiatry. 2016;73(3):292-297. doi:10.1001/jamapsychiatry.2015.3278

A découvrir également sur ce thème :
les résultats d’une vaste étude génomique des variants génétiques associés à l’usage de cannabis au cours de la vie réalisée sur un échantillon de 32 330 individus issus de 13 cohortes révélant notamment une forte corrélation génétique entre usage de cannabis et tabagisme.
"Genome-wide association study of lifetime cannabis use based on a large meta-analytic sample of 32 330 subjects from the International Cannabis Consortium", Translational psychiatry

RECHERCHE CLINIQUE

Sommeil, cocaïne et récepteurs dopaminergiques

Des études récentes ont mis en évidence chez des sujets sains volontaires une association entre privation de sommeil et rétro-régulation (« down regulation ») des récepteurs dopaminergiques D2 et D3 dans le striatum. Menée sur 24 consommateurs excessifs de cocaïne et 21 sujets sains contrôles, une nouvelle étude confirme, dans ce contexte, l’hypothèse selon laquelle la diminution de la disponibilité des récepteurs dopaminergiques D2 et D3 dans le striatum observée en contexte d’abus de cocaïne serait issue en partie des conséquences de perturbations du sommeil concomitantes. Les consommateurs excessifs de cocaïne présentaient en effet une durée de sommeil plus courte que les sujets sains et une disponibilité moindre des récepteurs dopaminergiques D2 et D3 dans la région du striatum, phénomène associé dans la littérature à une activité altérée du cortex préfrontal et à une plus grande vulnérabilité aux rechutes. A cet égard, une amélioration de la qualité du sommeil des consommateurs excessifs de cocaïne pourrait alors participer à une augmentation de la disponibilité des récepteurs D2 et D3 et ainsi améliorer les fonctions exécutives tout en limitant le « craving » et le risque de rechute.

Source : C E Wiers, E Shumay, E Cabrera, E Shokri-Kojori, T E Gladwin, E Skarda, S I Cunningham, S W Kim, T C Wong, D Tomasi, G-J Wang et N D Volkow, "Reduced sleep duration mediates decreases in striatal D2/D3 receptor availability in cocaine abusers", Translational psychiatry

TABAC

Sevrage tabagique : arrêt progressif ou « brutal »?

Une étude randomisée contrôlée menée auprès d’un échantillon de 697 individus tabaco-dépendants désireux d’arrêter de fumer, a évalué de façon comparative le maintien de l’abstinence à 4 semaines et à 6 mois consécutive à un arrêt progressif (AP) ou instantané du tabac (AI). A 4 semaines, le groupe AP présentait un ratio d’abstinence de 39,2 % (95 % IC, 34 % à 44,4%) tandis que le groupe AI un ratio d’abstinence de 49 % (IC 95 %, 43,8 % à 54,2 %). A 6 mois, le ratio avait chuté dans les deux groupes avec cependant un score d’abstinence plus important pour le groupe AI avec respectivement 15,5 % d’abstinents (IC 95 %, 12 % à 19,7 %) dans le groupe AP et 22 % (IC 95 %, 18 % à 26,6 %) dans le groupe AI. Une des limites de l’étude est qu’elle ne soit pas représentative de la population britannique puisque seuls 6 % de l’échantillon étaient constitués d’individus non caucasiens. Par ailleurs, la diminution importante du ratio d’abstinence à 6 mois suggère un besoin d’accompagnement plus ténu dans le temps pour optimiser le maintien du sevrage.

Source : Nicola Lindson-Hawley, Miriam Banting, Robert West, Susan Michie, Bethany Shinkins, Paul Aveyard, "Gradual versus abrupt smoking cessation: A randomized, controlled noninferiority trial", Ann Intern Med., 15 mars 2016 doi:10.7326/M14-2805